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DES ESPACES PUBLICS ATTRACTIFS GRÂCE AU DESIGN ACTIF

DES ESPACES PUBLICS ATTRACTIFS GRÂCE AU DESIGN ACTIF

DES ESPACES PUBLICS ATTRACTIFS GRÂCE AU DESIGN ACTIF

Propos recueillis par Vanessa DELEVOYE

Une fois n’est pas coutume, Urbis le Mag donne la parole à un aménageur d’espaces publics. Nicolas Lovera est un enfant de la pub devenu directeur général de Playgones, une société spécialisée dans la vente et l’installation d’équipements urbains destinés à l’aménagement des espaces ludiques et sportifs. Son point de vue est intéressant à plusieurs titres : s’il connait bien les attentes des collectivités locales, il a développé une vision urbaine et des convictions dont il fait largement usage au moment de les conseiller.

Des espaces publics attractifs grace au design actif, la ville recreative

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Nicolas Lovera, si je vous parle d’espaces publics qui créent la surprise, quelle est votre réaction ? Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Nicolas Lovera – Créer la surprise, c’est à mon avis ce qu’il conviendrait de faire dans chaque nouvel aménagement. Cela amène un vrai plus à l’équipement en lui permettant de vivre de manière quasi naturelle. La surprise est pour moi liée à la présence ce que j’appelle des éléments iconiques, de nature à créer des lieux dont la signature particulière donne envie d’y venir.

Chez Playgones, nous travaillons beaucoup autour du “design actif” dont l’ambition est de mettre les gens en mouvement par différents procédés ; notamment par la transformation d’un lieu et la création de cette fameuse surprise. Par exemple, sur un terrain de basket peu prisé, installer un playground hyper coloré va créer l’envie d’utiliser l’équipement. Les collectivités l’ignorent souvent mais il existe une foule d’outils simples de ce type susceptibles de dynamiser leurs espaces publics. Pour nous, aménageurs, ces outils représentent la possibilité de faire des propositions audacieuses dont le but sera d’amener de la lumière dans les interstices de la ville, ces endroits jugés sans qualité et peu investis. Je reprends mon exemple de terrain de basket : pas besoin qu’il soit rectangulaire ; il peut être de n’importe quelle taille, de n’importe quelle forme non conventionnelle, pourvu qu’on y trouve un panneau avec un cercle ! Concernant les aires de jeux pour enfants, pour créer la surprise, les aires de “jeux libres” sont remarquables : il s’agit d’espaces où l’enfant n’est pas orienté dans sa façon de jouer. On n’y trouve pas les classiques “deux tours où monter, un filet pour traverser, un toboggan pour descendre”. On permet au contraire à l’enfant de créer son univers grâce à des jeux dont l’usage sera multiple et pas téléguidé ni figé. Par exemple, un labyrinthe ou des miroirs stimulent l’imagination pour inventer de nouveaux jeux. Ce sont des équipements qui contribuent aussi à ce que les enfants jouent ensemble. Implanter des aires de ce type permet en outre d’attirer de nouveaux usagers, des gens du quartier d’à côté, qui en auront entendu parler. Globalement, mes clientes les collectivités locales n’ont pas encore toutes compris que cet effet de surprise peut beaucoup les aider à changer l’image d’un espace public, à faire décoller un lieu jugé peu attractif. Comme je le leur dis souvent, équiper un site avec des modules sportifs, c’est 40 % du boulot. Reste à l’inaugurer – l’aspect événementiel ne doit pas être sous-estimé, le buzz créé à cette occasion va déterminer beaucoup de choses pour la suite – et à le faire vivre sur le long-terme. Pour ce faire, j’incite beaucoup les collectivités à rattacher des éducateurs sportifs au site ou à y faire venir des associations en leur proposant des créneaux réguliers. Le fait que l’activité des associations ne corresponde pas aux usages prévus n’est pas un problème. Au contraire. Le multi usage d’un lieu contribue à l’effet de surprise. Par exemple, une association de double dutch (NDLR : un sport de saut à la corde) ou de breakdance, des sports urbains qui ont la côte actuellement, peuvent parfaitement renforcer l’appropriation d’un terrain de tennis ou un skate park.

« L’effet de surprise peut beaucoup aider à changer l’image d’un espace public, à faire décoller un lieu jugé peu attractif. « 

 

En matière d’équipements sportifs, quelles sont les erreurs que vous constatez souvent ?

Ça fait quinze ans que je suis DG de Playgones et quinze ans qu’on installe chaque semaine un terrain multisports dans une ville en France. Je pense que c’est une erreur, et je ne me prive pas de le dire. On dirait des mini prisons grillagées et à l’intérieur, il n’y a que des garçons qui jouent, toujours les mêmes, c’est un équipement très genré. Les jeunes filles n’y vont pas. C’est donc une erreur d’aménagement qu’il faut avoir le courage de ne plus faire, même s’il y a une demande. Un terrain multisports est dit adapté pour jouer au foot, au volley, au tennis et au basket. Dans les faits, je n’ai jamais vu personne y jouer au volley ou au tennis. La plupart du temps, les filets livrés avec les terrains ne sont même pas sortis par les collectivités. Quant au gazon synthétique qui les équipe, il ne se prête pas au basket. En clair, tous les terrains multisports finissent en terrains de foot appropriés par les garçons.

Par 100Architects
Par 100Architects

Cette erreur est-elle rattrapable ?

Les collectivités n’ont pas forcément la place pour construire de nouveaux équipements et on peut ne pas tout détruire. On peut en revanche transformer des lieux pour transformer les usages. On retravaille les sols, on change le mobilier urbain, on met des couleurs plus lumineuses et moins genrées, on crée de nouvelles zones. On peut redynamiser et transformer ; faire du home-staging en quelque-sorte. Il faut créer l’effet waouh sur un site existant, qui ne fonctionne pas et qui n’est pas attractif. C’est possible et ça se travaille. Il faut aussi écouter les jeunes filles. Même quand j’assiste à un conseil municipal des jeunes, je me rends compte que les garçons prennent davantage la parole et orientent le débat. Et puis les jeunes filles, quand elles s’expriment, se montrent attentives aux besoins des garçons. Les garçons, eux, ne pensent qu’à leurs propres usages. Et oui, il y a bien quelques filles qui jouent au foot et au basket… mais très peu. Pour rendre le terrain plus accueillant pour les filles, on peut rajouter des espaces avec des gradins car cela favorise la discussion et la rencontre qu’elles apprécient. On peut ajouter un espace dédié à la danse urbaine ou au double dutch qui sont des pratiques très mixtes.

À une collectivité qui veut son skatepark, je conseille d’avoir un maximum de modules dédiés aux non sportifs, aux débutants. Sinon le message délivré aux visiteurs sera : “vous débutez, vous n’êtes pas le bienvenu. Vous êtes une fille, vous débutez : vous êtes encore moins la bienvenue…”. Le but n’est pas d’écœurer les futurs pratiquants mais bien de leur donner envie de s’initier ! Il faut répondre au besoin de sport des moins sportifs car ils représentent 95 % des gens. Les enfants à trottinette doivent être une cible majeure de public pour les skateparks. Or, ce n’est absolument pas ce que je vois : les skateparks construits s’adressent aux 5 % d’initiés qui savent skater et c’est eux qu’on écoute souvent. Si une collectivité souhaite créer un équipement de fitness de type street workout, le raisonnement doit être le même : il faut implanter un minimum d’équipements nécessitant une force brute et privilégier des équipements de gainage et d’étirement accessibles à des gens en recherche de bien-être et de ludique. L’aspect multi générationnel de l’équipement est primordial, il ne faut oublier personne. Les micro-détails comptent : prévoir des casiers où poser les sacs, une fontaine pour se désaltérer après l’effort… La notion de confort est cruciale pour attirer les seniors, les femmes et les enfants. Les terrains de sport dans l’espace public qui fonctionnent sont ceux qui offrent du plaisir à être fréquentés. Dans certains collèges et les lycées de Scandinavie, les pistes d’athlétisme ne sont plus ovales : elles changent de direction, elles offrent des pentes, juste pour donner envie de les essayer.

Où réside l’avenir de l’équipement sportif ?

Dans le libre accès à tous et le plein air, sans aucune hésitation. Dans le futur, et le Covid a accéléré la tendance, je suis persuadé que les cours de sport auront principalement lieu en plein air. Les éducateurs sportifs municipaux vont changer de lieu de travail et sortir des gymnases pour investir les parcs publics, les places, les parvis pour y tenir leurs cours. Bien équipé, on peut faire du sport dehors toute l’année. Je crois que les salles de sport traditionnelles ont l’obligation de se réinventer… Les coachs privés ont compris les choses avant les autres. Ils investissent la plage, les rues pour travailler. À Hong Kong, la ville fait payer un loyer aux coachs de tai-chi et de fitness pour l’utilisation des espaces publics les plus connus. Les collectivités françaises devraient commencer à y réfléchir : certains lieux d’exception qui coûtent cher à entretenir sont utilisés gratuitement pour des activités privées. Les micro-équipements ont aussi un bel avenir devant eux. Sur 20 à 30 m², on peut en faire des choses ! Un mur d’escalade, un billard urbain, une aire de jeu… Avec le marquage au sol, une marelle, une échelle de rythme, un mini labyrinthe… Les collectivités doivent aussi penser aux seniors actifs qui sont absolument oubliés aujourd’hui. Ce sont les sportifs de demain. Dans 20 ans, il y aura plus de seniors que de jeunes. À 65 ans, on est en forme, on peut avoir envie de faire du parkour. Cela se pratique en utilisant le mobilier urbain pour se déplacer. Mais on peut favoriser la pratique en installant des modules de parkour. Les éducateurs sportifs peuvent s’en emparer pour ouvrir des cours à destination des seniors. Le parkour leur apprend à tomber, à rouler… Ces apprentissages sont utiles aux enfants et aux seniors qui sauront mieux éviter de se casser le col du fémur.

 

 » Les risky playgrounds sont des terrains où l’on trouve des palettes, des bouts de bois, de la terre avec des cailloux, des petits cours d’eau… et où l’on fait confiance à l’enfant !  « 

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Pourquoi les aires de jeux pour enfants sont-elles toutes identiques en France ? Est-ce une question de normes ?

Les normes sont innombrables en France. Le principe de précaution est poussé à l’extrême. En Allemagne et dans les pays scandinaves par exemple, l’application des textes est bien moins contraignante qu’ici. Cela rend possible la création de risky playgrounds, des terrains où on trouve des palettes, des bouts de bois, de la terre avec des cailloux, des petits cours d’eau… et on fait confiance à l’enfant ! En France, quand il y a un problème dans un parc, c’est la faute du maire.

J’ai envie de dire : “Mais vous les parents vous êtes où pendant que votre enfant joue ? Allez donc jouer avec votre enfant ! Apprenez-lui à jouer !”.

L’autre gros problème français réside dans le fait que chacun veut le même terrain que son voisin. Dans les petites villes, les techniciens n’ont pas forcément les connaissances suffisantes et il arrive régulièrement que ce soit l’adjoint au maire qui choisisse sur catalogue : un sol amortissant, deux tours et un filet donc. Malgré les normes, on peut néanmoins faire de très belles choses. Déjà mettre du sable et du gravier plutôt que des sols amortissants, c’est mieux écologiquement, c’est plus ludique. On peut aménager une cabane perchée, des buttes de terre engazonnées, des formes originales… Faire du sur-mesure et de la qualité ! C’est ce qui me motive personnellement à faire ce métier.

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